Du dépistage à l’évaluation dynamique .
L’échelle Alarme Détresse Bébé est un outil de détection et d’évaluation du retrait relationnel chronique. D’abord conçu comme un outil de dépistage, il est cependant possible de l’utiliser en clinique au long cours dans un processus d’évaluation dynamique afin de comprendre l’expérience que le bébé fait de son environnement relationnel.
L’évaluation dynamique est un concept issu de la psychologie et surtout du domaine de l’apprentissage. C’est une méthodologie qui consiste à évaluer davantage les processus mis en œuvre par le sujet plutôt que de faire un état des lieux du fonctionnement de la personne à un temps T.
Il s’agit de faire une mesure du potentiel d’apprentissage de l’individu.
Dans notre contexte, celui des bébés dont on cherche à comprendre l’expérience relationnelle et le niveau de stress, il s’agit pour nous d’évaluer les processus/stratégies que le bébé va mettre en œuvre pour se protéger lui-même. Simultanément, il s’agit aussi de pouvoir repérer les ressources du bébé, celles qui perdurent malgré des conditions de soins parfois complexes, nous parlons ici de la capacité d’engagement relationnel du bébé laquelle sera à la base des apprentissages pendant les toutes premières années de la vie.
Retrait réactionnel versus retrait chronique : du normal sous stress au pathologique.
Le retrait relationnel, avant d’être chronique, est réactionnel. C’est ce qu’ont pu montrer les travaux de Ed Tronick sur l’expérience du visage immobile.
L’expérience du visage immobile est un setting de laboratoire dont l’efficacité réside dans le fait que l’on contrôle volontairement la rupture de la synchronie dyadique attendue par le bébé au cours d’une interaction avec son parent (généralement la mère mais cela fonctionne aussi avec le père) et donc d’en observer les effets sur le bébé et ses comportements indépendamment d’autres facteurs.
On observe alors une première phase de protestation, puis rapidement le bébé va se détourner, se désengager. Chez les bébés tout venants, cette dysynchronie, si elle perdure, va conduire à une phase de désorganisation des comportements du bébé (pleurs, agitation).
L’ADBB, lorsque l’on maîtrise suffisamment bien le concept de retrait relationnel et l’outil, permet aussi d’attraper et d’observer le retrait relationnel réactionnel, c’est à dire cette stratégie de coping que le bébé met en œuvre pour faire face à une situation générant pour lui un stress interactionnel.
Une stratégie de coping se définit comme l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer des demandes spécifiques internes et/ou externes, vécues par le sujet comme menaçant, épuisant ou dépassant ses ressources (R. Lazarus et R. Saunier, 1978).
Un signal qui vient du bébé.
L’ADBB peut, en test–retest, permettre de mettre en évidence le point de vue du bébé à l’aide d’un signal qui vient du bébé et de ce fait a donc toute sa pertinence pour la clinique précoce.
Un exemple de ce type d’utilisation est le protocole « maintien du lien » utilisé en protection de l’enfance pour comprendre l’effet des visites parentales chez les bébés placés en pouponnière.
Une étude pilote a pu montrer que l’ADBB utilisée en test-retest permettait d’observer différentes trajectoires de réaction chez les bébés recevant des visites parentales en pouponnière. Ces observations permettent alors d’aider les professionnels de la protection de l’enfance à prendre des décisions dans le meilleur intérêt de l’enfant à partir de signaux qui viennent du bébé et dont la recherche a montré toute la pertinence.(http://www.theses.fr/2015USPCB020)
En test-retest, l’ADBB va aussi permettre de monitorer la qualité de la prise en charge des bébés en pouponnière. C’est ce qu’a montré une recherche de Mascaró, Dupuis-GauthierJardri, & Delion, en 2012.
Un groupe de 32 bébés placés pour leur protection en pouponnière a été évalué à l’aide de l’ADBB, mais aussi d’autres outils sur l’évolution de leur comportement relationnel à deux temps : T0 , au moment de leur arrivé à la pouponnière, T1 : 4 mois après leur prise en charge à la pouponnière ; Les résultats ont montré une amélioration importante du comportement de retrait relationnel des bébés au cours de la prise en charge.(https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=DEV_122_0069)
Une autre étude montre que le retrait relationnel tel qu’évalué à l’ADBB est un concept valide pour évaluer l’effet de l’institutionnalisation et de la présence ou non d’une personne de référence sur le développement socio-émotionnel des bébés. (SOCIAL WITHDRAWAL BEHAVIOR IN INSTITUTIONALIZED TODDLERS: INDIVIDUAL, EARLY FAMILY AND INSTITUTIONAL DETERMINANTS)
Enfin, il est aussi possible de monitorer le fonctionnement des groupes d’accueil : Evaluer régulièrement ave l’aide de l’ADBB (une fois par mois par exemple) le comportement de retrait relationnel de tous les bébés d’un groupe d’accueil en pouponnière va permettre :
– De repérer précocement celui qui ne va pas bien malgré les soins reçus et donc de prendre les décisions qui s’imposent, comme par exemple augmenter le temps avec sa personne de référence, prévoir un bilan neuro pédiatrique, envisager un placement en famille d’accueil, etc.
– De repérer si un facteur relationnel ou organisationnel impacte la dynamique de fonctionnement du groupe : trop de changements dans le personnel autour des bébés, un personnel en difficulté particulière (burn out, dépression), dans ces cas là, c’est souvent la majorité des bébés du groupe de vie qui vont présenter une chute de leur score moyen de retrait relationnel.
On le voit donc, les applications cliniques de l’ADBB sont multiples, surtout dans la clinique complexe (protection de l’enfance). Sa valeur sémiologique est très importante pour comprendre l’expérience du point de vue du bébé et sa flexibilité d’utilisation en fait un outil peu couteux et fiable. La formation ADBB est disponible en ligne ou en présentiel. L’utilisation de l’échelle ADBB ne nécessite pas de matériel particulier et peut être répétée autant de fois que nécessaire.