À propos du concept de retrait relationnel
détecter et évaluer le retrait relationnel
Le concept de retrait relationnel précoce chez le nourrisson
-Pr.Antoine Guedeney
La première description clinique du comportement de retrait relationnel durable chez le jeune enfant en dehors de l’autisme appartient à Engel et Reischman, en 1956, avec le cas célèbre de Monica, âgée de 18 mois. Atteinte d’une fistule œsophagienne et nourrie par sonde en attendant le rétablissement de la continuité digestive, Monica souffre de relations très perturbées avec sa mère. Celle ci est très gênée par la sonde, et elle est aussi très déprimée, isolée et maltraitée par son mari. Monica est hospitalisée dans un état sévère de retrait et d’anorexie avec un retard staturo-pondéral et développementale sévère.
La première description clinique du comportement de retrait durable chez le jeune
Cependant elle développe un attachement de plus en plus net vis à vis de son médecin et son évolution ultérieure favorisée par celle de sa mère et de leur relation sera plutôt positive et sera suivie par Engel pendant 25ans. Engel et Schmale proposent que la réaction de conservation/dépression retrait de l’énergie soit un processus défensif de base pour conserver l’énergie dans les situations critiques. Fraiberg avait décrit un mécanisme de défense analogue, le figement, observé dès l’âge de trois mois chez des enfants soumis à des situations relationnelles très pathologiques. Menahem décrit deux cas de retrait intense chez des enfants avec un retard de croissance sévère.
Le retrait relationnel est un élément majeur de la réponse du bébé de deux à trois mois à l’altération de la relation qui se produit lors de l’expérience du visage immobile ou en clinique lors de la dépression maternelle. Le comportement de retrait est aussi l’un des plus stables, au cours du développement, malgré les changements majeurs qui se produisent dans les trois premières années de la vie.
Le comportement de retrait relationnel précoce est donc un signal d’alarme important.
Le répertoire défensif du bébé est en effet initialement assez limité, et se centre surtout autour de la protestation et du retrait. Le retrait est plus difficile à repérer que la protestation, et pourtant il intervient dans de nombreuses situations de la psychopathologie précoce, de façon manifeste ou accessoire, qu’il s’agisse de troubles causés d’abord par un trouble relationnel, ou par un trouble organique, comme dans la douleur intense et durable. La réaction de retrait prolongé de l’enfant est un élément essentiel de la clinique de la plupart des grands ensembles diagnostiques de la petite enfance : dépression, troubles envahissants du développement, troubles de l’attachement, troubles anxieux, syndrome post-traumatique, troubles sensoriels…
La réaction de retrait est donc un élément d’alarme essentiel auquel le pédiatre ou la puéricultrice doivent porter une attention toute particulière au cours de l’examen de routine du bébé.
Le comportement de retrait relationnel dans la psychopathologie précoce
A droite et en vert les situations où le retrait est un élément constant du tableau clinique, à gauche et en bleu celles où il apparaît sans être constant. Ainsi, le comportement de retrait apparaît–il comme une part importante du répertoire comportemental du jeune enfant, et comme un signal d’alarme qu’il est critique de percevoir tôt, et de ne pas banaliser. Le retrait relationnel pourrait être la forme précoce de la dépression du jeune enfant, et le mode d’entrée dans celle-ci.Le comportement de retrait apparaît comme une part importante du répertoire comportemental du jeune enfant, et comme un signal d’alarme qu’il est critique de percevoir tôt, et de ne pas banaliser. Nous n’avons pas trouvé dans la littérature, d’instrument de mesure du retrait relationnel chez le jeune enfant avant 2 ans, et nous en avons donc construit un : l’échelle d’alarme détresse bébé.
La construction de l’échelle
1974
Antoine Guedeney, jeune pédiatre, réalise son service militaire au Tchad comme Volontaire du Service National. C’est lors de cette expérience qu’il observe beaucoup de bébés atteints de malnutrition du type Kwashiorkor qui donne un tableau psychologiquement impressionnant de retrait intense ( Guedeney, Lan et, 1995)
Antoine Guedeney exerce à l’institut de Puériculture de Paris, il a pris la suite de Michel Soulé à la direction du service de Guidance de l’IPP. Il prend alors contact avec la PMI (protection maternelle et infantile) pour développer une collaboration. Les collaborations entre les services étaient alors rares. Le projet est lancé de développer une échelle pour évaluer le retrait relationnel du bébé afin d’avoir un outil de collaboration et de communication entre les différents professionnels et les différents services de soins pour répondre aux question suivantes :
- Quels sont les bébés qui inquiètent les professionnels de PMI et dont il faut se soucier ?
- Comment les évaluer ?
- Comment transmettre nos préoccupations aux parents ?
Madame Martine Vermillard-Gateau – puéricultrice, Madame Edith Thoueille – directrice et le médecin de PMI, Mme Benjellal-Zamoun éducatrice, – Madame, le Dr Charon ont joué un rôle essentiel dans l’élaboration et la première validation de l’ADBB, ce qui fut reconnu dans l’attribution d’un prix de recherche de la SFPEADA en 1989 « au Dr Antoine Guedeney et à son équipe ».
1989 – 2000
2001
Attribution du grand prix de la recherche de l’Institut de France. La généreuse dotation de ce prix a permis le financement du site www.adbb.net, le financement d’études ADBB en particulier en Argentine et en Uruguay et continue de permettre le financement de la formation spécifique et de recherche et l’équipement du service de pédopsychiatrie, à la policlinique Ney Jenny Aubry.
La première étude de validation de l’ADBB a été publiée en 2001, après plus de 3 ans d’élaboration commune (Guedeney et Fermanian, 2001).
L’évolution de l’échelle depuis…
La suite a vu plusieurs validations à l’étranger, qui ont confirmé la note seuil de 5 et au-dessus, et qui étayent la validité transculturelle de l’échelle et l’universalité du concept (voir Guedeney Purra & Matthey, 2013 pour une revue dans la section ADBB de Infant Mental Health Journal, en annexe).
Des études en France ont montré la validité prédictive des mesures de l’ADBB, sur le risque de survenue de troubles interactifs mère-bébé, surtout quand ces mesures sont répétées (Rochette et Mellier, 2007).
L’étude transversale de 650 enfants du DEPSE à Paris a confirmé la validité clinique, et montré une incidence de 13 % sur une population à risque moyen (Guedeney, Foucault, Bougen, Larroque, Mentre A, 2008).
Les études norvégiennes et Finlandaises avaient trouvé une incidence plus faible de 3 à 6 %, mais sur des échantillons à faible risque et moindre vulnérabilité. (Puura, Guedeney, Mantymaa & Tamminnen, 2007; Puura, Mantymaa, Luoma, Kaukonen, Guedeney, Salmelin, Tamminen, 2010). Ceci a permis d’établir les liens entre retrait et facteurs de risque psychosociaux, en particulier avec la dépression post natale.
Une autre série d’étude a montré le risque évolutif du comportement de retrait durable : Milne & al en Australie montrent l’effet sur le développement du langage et de la communication d’un retrait précoce à 6 mois quand l’enfant est évalué à 2 ans (Milne, Greenway, Guedeney, Larroque, 2009).
Ces résultats ont été confirmés par l’étude EDEN à 2 ans en France (Guedeney, Pingault, Thorr &Larroque, and The EDEN Mother-Child Cohort Study Group ,2014).
En Afrique du sud, Chris Molteno a montré que le retrait était à 6 mois le premier signe de l’exposition fœtale à l’alcool, et que le retrait à 6 mois était prédictif du QI à 5 ans, associé à la carence en fer (Molteno, Jacobson, Colin Carter, Dodge and Jacobson, 2014). Une analyse en cours de rédaction de l’étude EDEN montre que le retrait (adbb >5) est associé indépendamment des autres facteurs avec une baisse du QI à 5 ans (Peyre, Guedeney &al, soumis).
Plusieurs études importantes ont suivi de façon longitudinale des enfants de la naissance à 18 mois ou plus : EDEN, OLIMPE EPIPAGE 2 et l’étude norvégienne de Braarud, Moe, Smith &al (Braarud, Slinning, Moe, Smith, Trannas Vannebo, Guedeney, Heimann, 2013 ; Smith, Guedeney &al, 2016, Inf Behav Dev 2016, annexe) comme l’étude portugaise de Costa &al. (Costa & Figueiredo, 2013).
Ces études avec des niveaux de risques parentaux variables permettent de décrire le développement normatif de la réaction de retrait relationnel, qui se développe à partir des caractéristiques tempéramentales du bébé; elles montrent que cette réaction est bien plus nette en cas de prématurité, et même si la prématurité est modérée. Enfin, des études récentes avec des films familiaux permettent de discuter de l’intérêt de l’ADBB dans le dépistage précoce des troubles du développement, et en particulier des signes précoces de l’autisme (Wendland, Gautier, Wolff, Brisson, Adrien 2010).